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    La lanière de cuir siffla dans l’air puis retomba au milieu des épaules de l’enfant avec un bruit qui tenait à la fois du bois et de l’eau.

     

    L’homme portait à ses coups la même application qu’il avait en sa forge pour clouer les sabots des chevaux. Dans ses yeux, aucune colère, son visage était rouge mais sans autre expression que celle de l’effort

    Autour de lui, la foule massée – il devait y avoir la quasi totalité des hommes du village – était presque silencieuse. A peine quelques voix osaient chuchoter.

    Car aucune plainte ne sortait de la bouche de l’enfant.

     

    -         Il finira bien par sortir !

    -         Quel malheur d’en arriver là.

    -         Tais toi ! il va enfin être délivrés de "l’autre"

    -         Tout de même je me demande si…

    -         Souviens-toi toutes ses souris blanches dans le grenier à blé.

    -         Mais elles n’avaient rien touché.

    -         Archos était intervenu juste à temps. Souviens toi aussi de l'eau de la fontaine, redevenue pluie.

    -         Nous étions alors en pleine sécheresse !

    -         De tels faits ne sont pas possibles sans l'intervention de forces ... venues d'ailleurs. Il y a du danger pour le village.
    C'est dur pour l'enfant, mais c'est nécessaire.

    Aucun ne semblait satisfait d’être là. Tous donnaient l'impression d'accomplir un devoir, de remplir une obligation douloureuse mais impérieuse.

    Cinq fois encore, le même geste fut exécuté avec la même précision quasi mécanique sans que rien ne se produise.

    L’impatience gagnait.

    Soudain une rumeur courut sur les lèvres. Tous se retournèrent et virent arriver un vieillard de haute stature, légèrement voûté mais à l’allure encore fière.

    Une voix puissante comme le tonnerre sembla sortir de chacun des poils de son épaisse barbe blanche. Le haut de sa coiffe carrée en frémit.

     

    -         Que faites vous ? Qui a ordonné cela? insensés!

     

    Après un instant de silence, le forgeron osa répondre

     

    -         C’est la seule solution Archos. Il faut faire sortir le démon du corps de Tamel !

    -         Croyez-vous, répondit le vieillard en s’adressant à la foule, que cet enfant tel qu’il est n’a pas sa place dans le village ? N’avez vous donc pas confiance en lui, en nous, en notre destinée ?
    En agissant ainsi, vous ne pouvez que provoquer un malheur, un vrai malheur et non ces petits désagréments que nous a tous causé un jour ou l'autre l’étrangeté de Tamel.
    N'êtes vous pas capable de vous souvenir aussi de ce qu'il a parfois créé de lumière en notre village ? 

     

    Une longue minute de silence, sécoula, au terme de laquelle un murmure d’approbation répondit à Archos. Il commença comme un vent léger, au rang des plus petits, puis enfla soutenu bientôt par la quasi totalité des lèvres.

    Alors le mur sur lequel l’enfant se trouvait attaché et qui était aussi le jambage de la porte sud, se transforma en une haie de fleurs dont se détachèrent des centaines de boutons de toutes les nuances allant du jaune au bleu. Chacun se déposa sur la tête de l’un des villageois présents. Un parfum de menthe sauvage se fit sentir en même temps qu'un milliers de rossignol présent seulement en leurs chants.

    Les Hûliens furent saisis de stupeur.

    L’instant après le forgeron jetait son fouet à terre et, de même que tous les hommes présents au «supplice», baissant les épaules, le regard perdu, il regagna sa demeure sans une parole.

    Archos détacha alors Tamel et pris sa petite main dans la sienne. Les doigts de l’enfant étaient perdus au milieu de l’immense paume rugueuse du vieillard.

    Il se regardèrent à la manière de deux promeneurs qui se seraient rencontrés par hasard, au milieu de la forêt. Puis, sans avoir échangé la moindre parole, tous deux sortirent tranquillement par la porte Sud comme si tout souvenir de cette journée avait disparu.

     (Version du 24 aout 2014)


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