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    Depuis le hameau à flanc de coteau où se tenait Tamel, la mer était visible, au loin vers le Sud et, pour qui savait y regarder, dans une légère brume, on pouvait apercevoir comme une dune posée sur les flots. Une dune qui fumerait d’une menace discrète mais tenace.

    Tamel appris plus tard qu’il s’agissait d’un volcan, au sommeil fréquemment agité, dont le nom évoquait la toupie sur laquelle le menuisier tourne sa pièce de bois.

     

    Le petit groupe de maisons était très animé et parcouru de cette rumeur que produisent les travaux communautaires à tendance festive.

    Ici il s’agissait, après avoir sacrifié l’animal, d’accommoder les différentes parties du cochon, chacune à la manière qui lui convenait – saucisses, saucissons, fromage de tête, jambons, lards, salaisons de toutes sortes … savons –  d’après la tradition héritée de génération en génération.

     

    Tamel suivit un groupe particulièrement bruyant.

     

    -         Rachela, la vieille Rachela ! Qui sait où elle se trouve ? Sans elle nous ne pouvons rien faire.

    -         Il nous faut aussi Gina, sa sœur.

    -         Salvatore m’a dit les avoir vue toutes deux à la chapelle.

    -         Que quelqu’un aille les y chercher au plus vite. Tout est prêt, il faut commencer au plus vite.

    -         Dis, grand-père, pourquoi a-t-on besoin des deux jumelles pour faire les saucisses ?

    -         Vois-tu Angelina, seule Rachel, la sourde et muette, sait la couleur exacte que doit avoir la viande lorsqu’on lui a incorporé la sauce aux poivrons et les épices.

    -         Et Gina ?

    -         Pour elle c’est différent. Personne ne saurait, hormis Gina l’aveugle, comprendre et traduire les grognements de sa sœur jumelle.

    Rachela, après avoir regardé attentivement le contenu d’une grande marmite en terre cuite, émet une suite de sons fluttés puis rauques, de claquements de langue accompagnés de battements des mains

    -         Qu’a-t-elle dit ?

    -         (Gina, assise à côté de sa sœur) Que ce rouge manque un peu de sel et beaucoup de fenouil.

    Aussitôt, une femme ajouta plusieurs cuillères de sel dans la mixture et une bonne louche de graines de fenouil. Puis une dizaine d’hommes vigoureux se relayèrent à tour de rôle pour brasser à main nue la viande contenue dans la marmite.

    … 

    La nuit était tombée depuis plusieurs heures, le repas festif qui avait clôt le long travail de la journée avait fait son effet et les seuls bruits qui parvenaient encore aux oreilles de Tamel étaient des ronflements.

     

    Lui aussi, intimement mêlé à la matière de la marmite, lui aussi avait profité de ce qui, en chaleurs de toutes sortes, avait rayonné sur le hameau.

    Et surtout, Tamel avait appris et ressenti une couleur !
     

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