• De l'eau !

     

    Les uddiivins, comme on les nommait à présent, formaient désormais une entité presque indépendante dans le village des Hûles.
    Le plus souvent chacun d’entre eux vivait seul, dans une habitation impénétrable, en laquelle toute autre personne qu’un membre du groupe était indésirable et ne se serait pas risqué à seulement lever le heurtoir de la porte.

    On ne les apercevait que lorsqu’ils se rendaient à une de leurs réunions ou quand ils allaient à la       fontaine du village la plus proche de leur maison, boire un peu d’eau ou procéder à leurs ablutions, ce que, par une détestation croissante de la présence et du regard de l’autre, ils faisaient tous de plus en plus rarement.

    Pour cette raison, les uddiivins étaient aussi appelés les nauséeux du fait de l’odeur de transpiration rancie qui annonçait résultait de leur passage.

    Archos avait espéré quelques temps que l’impossibilité de tenir chez eux l’eau en son état liquide les aurait obligés à sortir davantage et donc à côtoyer plus souvent l’autre, à tolérer sa différence.

    Il n’en fut rien, tout au contraire les nauséeux aussi inconscients de la réprobation générale qu’ils étaient fiers d’appartenir à une élite, s’isolaient chaque jour davantage.

    Ils ne sortaient plus que la nuit afin d’éviter les rencontres et se persuadaient chaque jour davantage de la condition aristocratique qui était la leur.

    Un jour pourtant tout faillit basculer dans le sens des aspirations d’Archos.


    Le soleil inclinait depuis quelques instants sa courbe vers l’horizon. Les uddiivins se trouvaient réunis une fois de plus chez l’écrivain public – à présent que l’eau se volatilisait dans toutes leurs maisons, ces réunions se déroulaient à nouveau dans la demeure du premier d’entre eux –

    Comme toujours, la conversation roulait sur le seul sujet sur lequel ces hommes si différentes les uns des autres par leur condition, leur métier, leurs goûts, pouvaient échanger, à savoir les mille et uns désagréments que causaient à tous la présence des autres, la nécessité de les croiser, de les fréquenter.

    Goegr, le visage marqué d’un profond dégoût, était en pleine évocation de cette odeur, si incommode, de la lavande qu’il rencontrait partout sur son passage – c’est ainsi, et Goegr l’ignorait tout à fait, que les villageois tentaient de faire disparaître les relents de l’odeur fétide que Goegr laissait sans cesse derrière lui.

    Subitement, la porte s’ouvrit. Un jeune enfant aux joues roses et aux yeux animés d’une lueur dansante pénétra vivement dans la pièce.

    Uddiivin jeta vers lui un regard empli de colère. Il se leva.

    -          De quel droit viens-tu troubler notre assemblée, garnement !

    Le gamin s’immobilisa, s’apercevant de sa méprise. C’est alors que des deux seaux qu’il tenait à bout de bras de l’eau se tomba et se répandit sur le carrelage qui recouvrait le sol.

    Il y eut tout d’abord un tumulte qui prolongea l’emportement d’Uddiivin. Puis, comme un vent de tempête dont le rugissement aurait été soudain asséché par la rencontre d’une poche de chaleur, celle-ci se transforma en rumeur d’étonnement. 

    -          D’où vient cette eau, jeune Tamel ? Interrogea Uddiivin d’un ton ferme mais considérablement adouci.

    -          De la fontaine des voyageurs, de l’autre côté de la ruelle ! Je suis vraiment désolé ! Je pensais entre chez Gline qui m’avait mandé deux seaux d’eau fraîche pour préparer le repas de ses hôtes.

    Au nom de l’aubergiste, l’écrivain public se renfrogna. Il n’aimait pas qu’on lui rappelle la proximité d’un commerce si bruyant à deux pas de chez lui, cause récurrente de disputes du temps où il échangeait encore des paroles avec son voisinage. Uddiivin parvint cependant à garder son calme, à ne pas se détourner de ce qui importait ici : de l’eau était entrée chez lui et il devait en comprendre la cause.

    -          Oui, tu nous as dérangé par ton étourderie ! Mais aujourd’hui, nous serons généreux. Sers-nous à tous un verre de ton eau claire et tu pourras repartir.

    L’enfant étourdi qui avait osé pénétrer par inconséquence en ce lieu si hostile à l’imprévu remplit un pichet de l’eau d’un de ses seaux et dans des verres qui furent apportés devant chacun, servit à ras-bord le liquide devenu si précieux en ces lieux

    Tous burent vivement car le prodige avait asséché leur gorge. Tous sauf Uddiivin qui debout souhaitait conserver son prestige et toute sa hauteur face à Tamel,

    -         Je peux m’en aller ?

    -         Tu le peux ! Répondit l’écrivain public.

    Tamel parti, un long silence emplit la pièce.

    Même s’ils n’avaient pas compris, ils avaient bu.

    A présent qu’il était seul Uddiivin repensait à la scène. Et tout particulièrement à ce qu’il avait dissimulé à tous.

    Après le départ de Tamel, lorsqu’il avait voulu boire l’eau versée par l'enfant, son verre était vide.

     
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  • Commentaires

    1
    T.
    Mercredi 21 Mars 2012 à 18:51

    Ne sommes - nous pas tous ces Individus que dérangent les parfums artificiels ? Qui cherchons en ce monde une odeur sincère. Et n'osons encore en produire de nous - mêmes les effluves.
    Uddiivin. Mot lourd de menaces. De sous - entendus. Indissociable de la foule qui le compose. Ey donc si dangereux dans ses imprévisibles mouvements.
    Voici tout ce que dessine votre conte savoureux.

    Sinon... Celui qui décidément n'est pas touché par la grâce, celui - là qui est le dernier. Sera - il le premier?

    2
    Aunryz Profil de Aunryz
    Mercredi 21 Mars 2012 à 22:08

    Nous sommes tous Uddiivin. A vouloir des conduites qui nous allimentent tout prêt de la bouche de tout ce que nous pensons contenir une part de plaisir. Ce refus d'être plusieurs, d'être commun.

    Mais assurément les Hûles s'en sortiront.
    Comme nous parvenons de temps à autre à supporter l''existence du deux.

    Merci de ces retours ... personnage en T.

     

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