• En fuite à la lisière du possible _28_

    28- Pluies

     

     

    Une semaine à peine après l’arrivée des hommes aux ailes blanches, dans la même minute toutes les femmes mettaient au monde un enfant, dépourvu de ces attributs, mais au regard du même vert émeraude que leur géniteur.

    La joie était grande dans tout le pays car les enfants étaient gracieux et vigoureux. Aussi ces naissances furent-elles l’occasion de nombreuses fêtes, banquet, concerts, où l’on but une boisson fermentée à base de céréales que préparèrent les « ailés » et que tous, y compris les hommes délaissés, apprécièrent au point, pour certains, d’en boire plus que de raison.

    Deux semaines plus tard, une seconde vague de naissances se produisit dans les mêmes circonstances.

    Cette fois-ci, la réaction fut tout autre. Les mères avaient bien des difficultés à assumer ces arrivées rapprochées de bouches à nourrir, de fesses à rafraîchir, de corps à bercer. Peu de femmes dormirent leur saoul les jours qui suivirent.

    D’autant que les pères de leur côté n’assumaient guère leur paternité et agissaient vis-à-vis de leurs rejetons comme ils l’auraient fait de petits animaux familiers.

    Tamel et Damouce tentaient, du mieux possible, d’aider les femmes débordées par les nouvelles tâches du quotidien, apportant de l’eau à l’une, ramassant du bois pour l’autre, promenant une demi-douzaine d’enfants dans un petit chariot fabriqué pour l’occasion. Mais leurs efforts étaient dérisoires face aux difficultés résultant de la naissance de tant d’enfants.

    Quant aux hommes du pays, ceux qui s’étaient vus préférer les créatures venues du ciel, ils se gardaient bien d’intervenir en quoique ce soit. Ce qui advenait aux ex-compagnes leur apparaissait comme un juste châtiment.

    Il y eut une troisième série de naissances. Et, dans la minute qui suivit, la pluie.

    Une pluie drue, lourde et froide qui tombait dans une absence totale de vent. Les nuages, qui obscurcissaient entièrement le ciel, déversant tout ce qu’ils retenaient d’eau sur la contrée.

    Pour tous, cette pluie sembla durer des jours et des nuits.

    Une colombe traversa les airs. La nuée avait disparu.

    Partout chacun sortait du lieu où il s’était mis à l’abri.

     

    Ce fut un enfant qui aperçut la première paire d’ailes, à demi enfoncée dans la boue d’un chemin. De ce qu’ils cherchèrent ensuite et trouvèrent avec à chaque fois une double joie sauvage, occasion de danses bondissantes et de chants hauts perchés, les hommes eurent de quoi se faire des édredons pendant des lustres.

    Damouce et Tamel entendirent une voix faible mais aux accents mélodieux qu’ils connaissaient bien, sourdre simultanément du fond de leur gorge.

    -         C’est fini ! Je peux à nouveau sortir au grand jour, je ne risque plus rien ! L’eau les a vaincus.

    Passé l’instant de surprise, Tamel répondit :

    -         C’est toi ! Oh comme je suis content ! … Mais comment t'extraire de ta cachette ?

    -         Comme ceux qui ont fait bombance et souhaitent pouvoir continuer sans tarder.

    -         Explique-toi, je n’y comprends rien !

    -         Allez prendre une plume, il y en a tant autour de nous ! Et touchez-vous la luette de son extrémité. Cela devrait suffire !

     

    Quelques instant plus tard, Refi était de nouveau parmi eux.

    Mais de ce qui l’avait à ce point submergé de terreur, de cela jamais il n’en dit un mot.

     (Version du 30 aout 2014)

      
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  • Commentaires

    1
    T.
    Vendredi 23 Mars 2012 à 19:20

    C'est magnifique. D'une densité rare. Puis-je lire cette succession si rapide de naissance comme une sorte de forçage ( au sens où l'on parle de " forcer une fleur ") afin de conduire à l'épreuve du vide?
    Qu'importe, au fond. J'aime. Et surtout cette pluie.

    2
    Aunryz Profil de Aunryz
    Vendredi 23 Mars 2012 à 23:26

    Pluie est souvent une délivrance.

    D'accord tout ce dont la durée de maturation est racourci
    est néfaste.

    Nous avons besoin de temps
    et de décourcis

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