• Le linceul

     

    Autour de l’homme allongé sur le grand lit tendu de blanc, tous ceux qui étaient venu ici pour veiller somnolaient. Certains émettaient même de puissants ronflements.

    Le bambin passa la tête par la porte et, après s’être assuré de l’état des adultes assis en équilibre précaire sur leur chaise, entra dans la chambre à pas mesurés.

     

    Une voix faible et rauque l’appela.

    -         Approche Tamel ! Approche !

    -         Grand-Père …

    -         Approche, je ne peux pas parler très fort.

    -         Qu’as-tu Grand-Père ? Tu es malade ?

    -         Oh non ! Ou plutôt oui, mais ce n’est pas une mauvaise maladie.

    -         Il y a de bonnes maladies ?

    -         Pour la vie, oui !

    -         Je ne comprends pas Grand-Père.

    -         Un jour un enfant vit un petit animal qui avait une apparence faible et vulnérable.
    Il semblait avoir peur et, pour se protéger, avait commencé à s’enfermer dans une sorte de linceul.

    -         C’est quoi un linceul Grand-Père ?

    -         Imagine ce que tu veux Tamel. Je n’ai plus le temps de t’expliquer.
    Le petit animal tissait ce linceul avec une fibre qu’il produisait lui-même. Devant l’enfant étonné il disparaissait peu à peu. Bientôt, là où il se tenait, il n’y eut plus qu’un gros doigt de coton lové dans le feuillage d’un mûrier.

    L’enfant était atterré, il se précipita pour délivrer celui qui souhaitait ainsi se soustraire définitivement au monde des vivants.

    Une main arrêta son geste.

    C’était son père.

    -         Qu’allais-tu faire ?

    -         Sauver cette chenille de la mort !

    -         Sais-tu petit ignorant plein de compassion pour les malheurs du monde que, loin d’aller vers une fin, ce petit être prépare au contraire une nouvelle existence.  Dans celle-ci, la créature rampante aura disparu au profit d'un être majestueux que de grandes ailes colorées propulseront vers le ciel.
    En se donnant un peu d’immobilité, un peu de mort, cette chenille se prépare à donner la vie à un papillon.

    -         Que veux-tu me dire là Grand-Père ?

    -         Depuis que je suis couché sur ces beaux draps blancs, comme la chenille, j’ai eu un peu de temps pour tisser un cocon autour de mes pensées.  A l’abri de l'obscurité de cette chambre, j’ai vu clair tout à coup.

    -         Qu’as-tu vu Grand-Père ?

    -         Que toute mon existence depuis ma naissance jusqu’à ces jours se résume au destin d’un œuf. Ce qu’il y avait à l’intérieur de ma coquille, je l’ai consommé, à présent cette coque, je ne dois pas craindre de la briser. Une autre vie attend dans un dehors que les hommes nomment la mort.

    -         …

    -         Ne pleure pas Tamel. Chaque fois que tu verras un poussin, un poulet, une poule ou un coq, en liberté dans le village ou dans ton assiette, pense à moi !

    Sa tête bascula lentement sur le côté.

    Une larme coula sur la joue de l’enfant.

    Au loin, un coq chanta.

     

     

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  • Commentaires

    1
    annaj
    Mercredi 11 Janvier 2012 à 08:06

    souvent j'ai pensé que le début du fil se tisse au coeur de soie, lentement sûrement, à chaque fois qu'il faut "abandonner" un état,quelque chose ou quelqu'un  et que c'est depuis ce trou premier creusé dans sa vie que s'agencent tous les autres vides...alors un jour nous n'avons plus à offrir que son corps...

    (le Vide: ce qui est immatérialité)

    2
    T.
    Mercredi 11 Janvier 2012 à 09:39

    Lorsque mon père est mort, un soir que je rêvais dans ma chambre où se trouvait une cage renfermant un bengali, je me suis prise à chantonner " Ouvrez ouvrez la cage aux oiseaux " en pensant à lui qui aimait cette chanson.
    Quelle ne fut pas ma surprise de voir soudain voleter l'oiseau dans la pièce. Evadé de sa cage on ne sait comment.
    Je l'ai définitivement rendu à son autre vie
    convaincue que l'âme de mon père se trouvait là
    sous quelque forme et intention que ce soit.

    Merci de ce beau compte apaisant
    pour narrer un moment de la vie qui est dynamique
    comme la vie même.

    3
    Aunryz Profil de Aunryz
    Mercredi 11 Janvier 2012 à 16:51

    (annaj)

    Assurément il faut préciser le vide (comme vous le faite)
    qui est un réservoir de potentiel.
    L'image est jolie (coeur de soie) et face à elle je n'ai pas honte de
    me défiler (sourire)²

    (T.)

    Merci de ce morceau de vie.

    Je ne saurais écrire quelque chose que je ne sens pas un peu
    (j'arrête la plume à chaque fois que n'en sort que des mots)

    Ce monde a plus d'imagination que nous
    donc tout ce qu'on pense ou imagine
    il l'a déjà créé
    ici ou ... par là

    4
    mel13 Profil de mel13
    Mercredi 11 Janvier 2012 à 19:29

    étrange comme nos lectures et nos textes résonnent parfois, entrent en contact, même par le vide, surtout par le vide, le vertige, le cri qu'on ne crie pas, qu'on écrit juste...

    5
    Aunryz Profil de Aunryz
    Mercredi 11 Janvier 2012 à 19:37

    Oui, étrange
    mais pas étranger

    Je ne crois pas que nous soyons des entités sans contact.
    Nous sommes des îles (il y a un peu de cela dans Roger Gilbert Lecomte)
    Sans vraiment nous en rendre compte
    sous l'eau
    ça communique. (sourire)²

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