• Les amarres

     

     

    L’inquiétude d’Archos avait encore augmenté et cette fois encore Uddiivin en était la cause.

    La disparition de l’eau dans la maison de l’écrivain public avait affecté son caractère. Au fil des jours, l’humeur d’Uddiivin s’était considérablement détérioré et les réunions lors des quelles lui et ceux qui avaient rejoint son groupe, macéraient dans leurs rancœurs avaient encore accéléré cette dégradation.

    Dans le même temps, la production écrite de son activité professionnelle avait évolué de façon tout aussi désastreuse.

    Or, son rôle pour les Hûles était, de façon indirecte, tout à fait primordial.

    Dans le village, le service d’Uddiivin consistait essentiellement, en dehors des actes de ventes, à rédiger la correspondance avec les défunts.

    C’est lui qui, lors des enterrements, écrivait l’ode au disparu. Rappelant le passage de celui-ci dans le monde des vivants par la citation enluminée des poins les plus marquants et, si possible, les plus éclatants de son séjour sur la terre.

    C’est lui aussi qui, régulièrement, suivant une périodicité décroissante réglée par la conscience et le sentiment de chacun, produisait ces petits billets qui entretenaient le lien d’affection, au delà de la mort, entre les membres d’une famille et ceux des siens passés du côté du grand continent invisible. Ces billets que les Hûles brûlaient sur la tombe des disparus.

    Depuis quelques temps, les amarres du village dans la crique des montagnes où il s’était posé depuis une vingtaine de lunes, ses amarres semblaient perdre en consistance.

    Or chacun savait, et Archos mieux que quiconque, que ces liens à la terre ferme étaient assurés, consolidés, maintenus, par l’amitié et la tendresse que le continent des disparus continuait d’avoir pour le village.

    Assurément, la sécheresse croissante du style et des mots dont l’écrivain public couvrait les billets des morts était responsable du relâchement de ce qui reliait les vivants aux défunts et en conséquence le village à la terre ferme.


    Archos ne voyait qu’une issue possible, quelqu’un devait apprendre l’art du dessin de la lettre et de la composition des mots sur le papier. Cet art dont Archos lui-même ignorait tout, ce talent dont il serait assurément fort délicat de demander à Uddiivin la transmission.

    A moins que.

    Oui ! Le frère de Tamel. Lui qui depuis si longtemps, n’ayant aucune possibilité d’agir sur le monde extérieur dédie sa vie entière à enrichir son monde intérieur…

    Oui ! Le frère de Tamel ! Il suffira de lui transmettre quelques modèles d’écriture habilement détournés de l’officine d’Uddiivin… Il sait les propriétés de l’inversion qui fait correspondre la partie avec le tout, de ces traces, il devinera bien le reste !
     
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  • Commentaires

    1
    T.
    Mardi 3 Avril 2012 à 09:30

    L'ancêtre. Porteur de puissance. transmise à l'initié pour peu qu'il accepte de relier, vivifier et se vivifier des rituels et des mythes.
    " Maître des initiés,
    J'ai besoin de ton savoir
    pour percer le chiffre des choses " ( Senghor, de mémoire).
    Quelle belle histoire que la vôtre. Si loin le temps des mythogrammes.

    2
    Aunryz Profil de Aunryz
    Mardi 3 Avril 2012 à 22:45

    Je ne crains rien plus que de trop coder ces bribes de contes
    et perdre la naïveté de cet enfant qui habite cette histoire.

    Belle phrase que celle de Senghor
    mais je ne veux surtout rien percer
    il y a ici et là sur la toile suffisamment de suffisant(es) qui administrent les mots
    leurs font payer la dîme
    et labélisent où banissent ceux qui à leur oreille sonnent juste ou faux

    surtout rien percer
    mais si d'aventure un trou se fait, de lui-même, dans les nuages
    il est le bien venu.

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