• Oulof

     

     

    La mère de Tamel lui avait demandé d’aller chercher un peu d’eau à la fontaine et l’enfant s’y rendait, deux seaux au bout d’un bât en bois qu’il portait sur les épaules.

    Devant l’eau qui coulait, une scène étrange se déroulait.

    Oulof, au corps lourd et puissant d’un homme d’âge mur, mais dont le visage rond, à la bouche toujours humide et aux yeux remplis perpétuellement de joie et d’étonnement, se balançait d’avant en arrière sur un petit tabouret placé juste en face du bouillonnement des eaux. A l’endroit où celles qui se reposaient déjà rencontraient celles qui allaient bientôt pouvoir faire halte après un parcours emplis de chutes et de cahots.

     

    Les mains posées sur la pierre de la fontaine, Oulof avançait la tête et le tronc en basculant son siège puis repartait en sens inverse. A intervalles réguliers, synchronisés sur son balancement, il poussait de petits cris étouffés, à mi-chemin entre le grognement de plaisir du bébé pendant la tétée et celui du chien qui fait un mauvais rève.

     

    Tamel vint se placer à côté de l’homme qui ne lui accorda aucune attention, poursuivant avec application ses enchaînements de déséquilibres contrôlés.

    Pendant plusieurs minutes, l’enfant avait observé le simplet. Puis insensiblement son corps s’était mis à imiter, avec une moindre amplitude cependant, le balancement d’Oulof.

    A présent il se sentait étrangement bien, sans raison, comme s’il était soudain rassasié après une faim dévorante, sans pourtant avoir avalé le moindre aliment.

    Vint cependant l’instant où sa mère lui revint à l’esprit.

    Il sortit alors, non sans regret, de la rêverie paisible où il se trouvait et, en prenant garde à ne pas produire de mouvement brusque, il immergea un seau, puis l’autre.

     

    Oulof s’était immobilisé et le regardait faire.

    Tamel ajusta son chargement sur ses épaules au moyen de son bât s’apprêtant à partir.
    Il hésita cependant.

    Oulof semblait perdu, regardant l’eau qui coulait comme s’il venait de s’apercevoir de sa présence.

    L’enfant prit alors un gobelet en bois qu’il tenait toujours dans une petite gibecière pendue à son côté, l’emplit d’eau et le tendit devant lui.

    L’homme prit délicatement l’objet avec ses deux mains, à la manière dont on reçoit une part de gâteau, le porta à ses lèvres, puis il le rendit à l’enfant avec les mêmes gestes lents et mesurés et repris le cours de ses pensées et de gestes là où l’irruption de Tamel les avaient interrompues.

     

    Tamel pris le chemin de la maison de sa mère en se promettant de demander prochainement à Anthelme la nature de cette médecine particulière que le simple d’esprit lui avait fait découvrir.

     

    Rien de plus utile

    que la tuile

    qui recouvre le sommeil des vivants

    protège de l’aspiration du ciel

    et du voleur de rêve

    enseigne l’art

    du subtil recouvrement

    l’habile redondance

    qui soustrait à la pluie et au vent.

     

     

    « Le passage de l'horizonRâle »

    Tags Tags : , , , ,
  • Commentaires

    1
    annaj
    Samedi 7 Janvier 2012 à 11:52

    le rocking chair incantatoire des êtres tombés par mégarde du ventre de la Vie, cette berceuse caresse sur l'angoisse

    2
    Tithoem
    Samedi 7 Janvier 2012 à 14:22

    Si doux de perdre les traces de ce qui fut donné.
    Et puis ces mouvements dans lesquels le corps apprend le vide.
    Ce genre de rencontre est comme une rive. De celles qui ouvrent aux béances majuscules. Salutaires.
    Merci.

    3
    Aunryz Profil de Aunryz
    Dimanche 8 Janvier 2012 à 22:22

    (annaj)
    Il faut avoir pratiqué ce mouvement soi-même
    pour se rendre compte à quel point le simple d'esprit détient effectivement un secret apte à calmer la douleur, tant du corps que de l'âme.
    En d'autres temps certains connaissaient le pouvoir du nombre et de la répétition
    plus près de nous on s'en est servi pour le travail à la chaîne.

    (Tithoem)
    Je vous souhaite (si ce n'est déjà fait) de nombreuses rencontres de ce genre
    elles sont de plus en plus difficiles parce que la différence
    en dehors des films à grande audiance
    ne sort pas beaucoup dans les rues
    et n'a plus vraiment de rôle social.

    Oui, la béance est une porte et une blessure.

     

     

    4
    annaj
    Lundi 9 Janvier 2012 à 04:22

    j'appelle ce mouvement celui de l'encensoir

    5
    Aunryz Profil de Aunryz
    Lundi 9 Janvier 2012 à 08:46

    Je prends
    c'est une belle image
    ornée d'un parfum qui fait sens.

    • Nom / Pseudo :

      E-mail (facultatif) :

      Site Web (facultatif) :

      Commentaire :


    6
    Tithoem
    Lundi 9 Janvier 2012 à 18:25

    Ayant vécu en Afrique et Amérique du sud
     la place éminente du différent m'est certes familière.
    Outre mes choix professionnels d'écoute... des différents et différences .

    Souhaitons nous les uns aux autres
    de rencontrer non pas ce qui nous ressemble
    ce qui serai bander l'arc de la mort
    mais ce qui nous éclate
    tour à tour danseurs, éclaireurs, guetteurs ou
    simples

    7
    Lundi 9 Janvier 2012 à 18:56

    Allumons la mèche
    et éclatons ce souhait
    aux quatre coins du monde

    Je choisis
    simple.

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :