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Les grenouilles, les cigales, le ruisseau, les branches des arbres et le grand souffle de la terre qui avait enflé prodigieusement ces derniers jours.
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Ce jour là, Quand Tamel ouvrit sa case à courrier il n’y avait qu’un petit billet plié en quatre. Rentré chez-lui, après avoir soigneusement étalé le papier sur la table il put lire une petite écriture fine, nerveuse, aux lèvres étroites et serrées qui disait « monsieur, l’autre jour, passant devant ma demeure, vous siffliez un air extrait des musiques de Gurdjieff, personnage à l’origine de mouvements sectaires. Par ailleurs les tonalités de votre sifflet m’incommodent et sont tout à fait mal venues dans une rue dont je vous rappelle qu’elle m’appartient. Je vous prie donc d’emprunter un autre chemin pour vous rendre là où il m’indiffère que vous vous rendiez et de vous dispenser par la même occasion d’écrire – même si ce n’est qu’à la craie – sur les trottoirs des phrases aussi stupides que : [ « Gurdjieff est la figure la plus immédiate, la plus valable et la plus totalement représentative de notre époque. » Peter Brook ]. Après être resté un instant dans une apnée totale du corps et de l’âme, avec les gestes inverses de ceux qu’il avait fait pour déplier le message, Tamel le replia, puis se plia lui-même, et disparut. (²)
Replié, Tamel occupait beaucoup moins de place. Il avait même le sentiment de ne plus en occuper du tout.
Etrangement, un sentiment de grande plénitude le gagnait et baignait son absence matérielle et ce qu’il restait de sa présence en esprit. Il percevait de plus en plus intensément le caractère merveilleux de la création, l’immense cadeau qu’était la possibilité même de cet émerveillement dans la position particulière qu’il occupait, à savoir à l’abri de tout regard dans cette petite parcelle de néant où il s’était lové.
De ce coin de néant, Tamel, après un peu de temps – dont il n’aurait pu dire la quantité, toute pulsation extérieure aux siennes lui ayant été retirées – après un peu de temps, Tamel ouvrit un œil.
Ou tout du moins c’est l’impression qu’il eut car l’obscurité était moins absente. La vision lui revenait. Quelque part, il apercevait un contour, et de ce point de temps à autres, une lueur, ou un chant s’élevait.
Le chant lui parlait. Sans réelle intention, l’être lointain renvoyait vers Tamel une grande part des petites parcelles de l’univers qui lui parvenait et qu’il laissait rebondir sur sa surface lise, leur donnant parfois un peu de couleur ou d’odeur supplémentaire.
Si l’on avait pu lire dans la conscience de ce soleil, un petit refrain se serait fait entendre : « touhytt…touhytt…touhytt » , à l’intérieur d’un halo de grande bienveillance.
Tamel guérissait. Petit à petit, des parties de son corps réapparaissaient se dépliaient, depuis la parcelle de néant où elles s’étaient réfugiées pour se protéger des paroles armées de dents et du désir de mordre sans toucher, à distance [il les avait nommé mEGO]. Le calme était revenu au-dehors. Bientôt Tamel pourrait à nouveau respirer librement et peut-être même marcher et tenter lui aussi, comme l’ami lointain, d’émettre son propre « touhytt…touhytt…touhytt », voire de véritables phrases. Mais il lui faudra se rappeler qu’il est des lieux où la porte, si elle semble ouverte à tous, avertit en réalité de la présence d’un lieu privé où le geste la langue et jusqu’au sourire sont codifiées. De ces parcelles du réel, il ne devra plus s’approcher.
La lumière était partout présente autour de lui. Une lumière à laquelle semblaient mêlées de sombres nuées. Le désir lui vint que cette confusion cesse, que la clarté caresse son corps soudainement affamé et que l’obscurité patiente un peu jusqu’à ce que survienne un espace ou un temps qu’elle pourrait occuper en totalité. Alors les nuées se replièrent sur les côtés puis furent aspirées par la ligne d’horizon. Tamel put goûter avec délice de tièdes lueurs qui baignaient toutes les fibres de son corps. Il s’endormit.
Pendant son sommeil, Tamel rêva. Sa bouche aspirait l’espace autour de lui, s’y baignait à l’envers, puis l’envoyait vers le ciel au milieu de nuages de vapeur qui moutonnaient tout autour de lui jusqu’à créer un firmament. Bientôt, il plut. Son visage fut caressé par les gouttelettes tièdes qui s’écoulèrent ensuite en différents chemins de son corps vers cet envers du ciel … dont il ne savait plus le nom.
Une partie de l’eau qui avait coulé sur sa peau demeura sous lui et s’y immobilisa tandis que l’autre partie, ayant profité de la chaleur de son corps, redevint vapeur, s’éleva puis se condensa en de beaux ensembles ronds et blanc qui formèrent un troupeau lequel s’éloigna lentement devant Tamel. En suivant ce mouvement, l’enfant s’aperçu de la présence réconfortante de montagnes élevées semées de rocailles, de bosquets d’épineux, de forêts et de pâtures.
Survint bientôt l’instant au cours duquel Tamel s’aperçut de ce que son œil émettait à nouveau cette discrète lueur, en accord avec La Lumière, cette lueur ténue dont le scient ignore tout et sans laquelle pourtant aucune rencontre ne serait possible, aucune image ne pourrait naître en l’esprit. L’œil de Tamel voyait ainsi à nouveau les arbres danser sur les pentes rocailleuses et s’appliquer à leur tache dans les vergers de la vallée.
Un vent violent chassa du ciel les nuées qui s’y étaient amoncelées. Comme si les nuages les avaient inventés en se retirant, le Soleil et la Lune, chacun à une extrémité du ciel, se défiaient. Tamel songeait à sa voûte intérieure, y cherchant l’écho des deux luminaires. Un LA grave emplit son oreille. Il sut alors que les deux mondes venaient de s’accorder.
Pendant son sommeil, Tamel rêva. Sa bouche aspirait l’espace autour de lui, s’y baignait à l’envers, puis l’envoyait vers le ciel au milieu de nuages de vapeur qui moutonnaient tout autour de lui jusqu’à créer un firmament. Bientôt, il plut. Son visage fut caressé par les gouttelettes tièdes qui s’écoulèrent ensuite en différents chemins de son corps vers cet envers du ciel … dont il ne savait plus le nom.
Une partie de l’eau qui avait coulé sur sa peau demeura sous lui et s’y immobilisa tandis que l’autre partie, ayant profité de la chaleur de son corps, redevint vapeur, s’éleva puis se condensa en de beaux ensembles ronds et blanc qui formèrent un troupeau lequel s’éloigna lentement devant Tamel. En suivant ce mouvement, l’enfant s’aperçu de la présence réconfortante de montagnes élevées semées de rocailles, de bosquets d’épineux, de forêts et de pâtures.
Survint bientôt l’instant au cours duquel Tamel s’aperçut de ce que son œil émettait à nouveau cette discrète lueur, en accord avec La Lumière, cette lueur ténue dont le scient ignore tout et sans laquelle pourtant aucune rencontre ne serait possible, aucune image ne pourrait naître en l’esprit. L’œil de Tamel voyait ainsi à nouveau les arbres danser sur les pentes rocailleuses et s’appliquer à leur tache dans les vergers de la vallée.
Il avait dormi sans rêve un peu de temps. La nuit, l’aube nouvelle, puis s’était éveillé sous un soleil rayonnant. Du Sud, un oiseau noir et blanc à grande queue traversa le ciel. En son milieu, il croisa deux colombes qui volaient en sens inverse. La même scène se déroulait simultanément au sol, où, d’Ouest et d’Est, les trajectoires parallèles d’un sanglier et d’un chevreuil se rencontrèrent à deux pas seulement du lieu où Tamel venait de les créer.
Tamel était demeuré replié sur lui-même depuis trop longtemps. Ses membres protestèrent lorsqu’il voulut les remettre à l’effort. Il parvint cependant, après plusieurs tentatives infructueuses ponctuées de chutes qui lui laissèrent quelques écorchures incrustées de poussières, à se mettre en marche. Il avait choisi un chemin de terre dépourvu de caillou, légèrement en pente descendante pour soulager ses muscles récalcitrants. Ce chemin le conduisit jusqu’à un petit à ruisseau, au bord d’une prairie, si calme qu’il semblait presque immobile. Tamel se pencha sur l’eau. Il eut alors le sentiment d’avoir créé des profondeurs de l’onde un être vivant, de lui avoir insufflé la vie et, lorsque lui-même se leva, pour poursuivre sa route, d’avoir accordé à cette créature, pour laquelle il sentait en lui un fort élan de sympathie, la liberté d’agir à sa guise.
Un lapin traversa le chemin sur lequel Tamel progressait mollement et, après quatre bonds qui le conduisirent de l’autre côté, juste avant de disparaître dans un buisson, tourna la tête vers l’enfant. A cet instant, il apparut à Tamel, comme une révélation, que ce nom de « lapin » convenait tout à fait au petit être bondissant et l’enfant fut étonné de cette merveilleuse coïncidence. Celle-ci se renouvela toute la journée lors des rencontres successives d’un dindon, de canards, d’un chevreuil, de cochons et d’un ânes. La journée achevée, Tamel s’endormit dès qu’il se fut allongé sur un tapis de feuilles mortes, comme après très un long travail.
Les éclats de la vie de Tamel ne forment pas un chemin, ne mènent pas d'un lieu à un autre. Pas plus que le feuillage d'un arbre qui se disperse en désordre lorsque la nourriture qui lui parvient se fait plus rare, que les forces commencent à lui manquer pour résister au souffle des vents, pas plus que le feuillage d'un arbre ils ne touchent l'unité. Tout au contraire, ils frôlent dans des surgissement hasardeux, l'ensemble des possibles des Tamel, en toutes directions du temps et de ses ramifications. Qui chercherait des liens semblables à ceux qui existent entre la naissance et la mort y épuiserait sa science et les mots qui en sont les briques.
Tamel pensait que, pendant qu’il fermait les yeux, un peu du monde qui l’habitait s’en allait ailleurs, visiter d’autres êtres vivants.
L’œil droit de Tamel, en son iris, avait un léger défaut. Comme certains carreaux produits de manière artisanales et dont la surface est imparfaite, l'immobile s'y mouvait.
Parfois, avant que Tamel ne devienne un enfant presque normal, lors des grandes chaleurs immobiles, des nuées de sauterelles s'amassaient dans le ciel, au-dessus du village des Hûles, y dessinant des arbres qui auraient été agités de vent.
Et le vent, brise fraîche et joyeuse, revenait.
Au réveil, la première surprise de la journée était pour Tamel de découvrir quel âge la nuit lui avait donné, ainsi qu'aux autres êtres vivants quittés lors du passage de la nuit.
Il arrivait de temps à autre que Damouce soit une grande jeune fille en âge de vouloir ou non être mère et que lui, Tamel préfère promener son corps - à grosse tête, chairs rondes et petits membres torses - à quatre pattes plutôt qu'en cherchant un équilibre pour lequel il était alors si peu fait.
Tamel ne saurait dire en ces jours là si la joie qui lui coulait des yeux était celle qui habite naturellement, sans raison, ceux pour qui un jour est bien plus qu'une vie, ou si cet état de bonheur avait une cause particulière.
En ce temps là, Tamel ne regardait jamais les oiseaux en vol - il aurait eu bien trop peur de mal répartir le poids de son regard et de causer un déséquilibre à celui sur lequel son œil se serait posé - toujours l'enfant attendait qu'ils se soient posés les griffes bien serrées sur une branche.
Tamel croyait et disait parfois qu'il savait écrire.
Celui qui l'approchait pendant quelque temps finissait par comprendre qu'il désignait par ce mot les gestes de son corps dans l'espace, ponctués de ses instants d'immobilité.
Les grenouilles, les cigales, le ruisseau, les branches des arbres et le grand souffle de la terre qui avait enflé prodigieusement ces derniers jours.