• Répit

     

     

     

    Seize heures trente huit minutes.


    Le petit vieux avait fait durer son ballon de rouge presque deux heures, le vidant à minuscules lampées séparées de la durée la plus longue possible tolérable par le serveur, lequel était à l’affût d’une place disponible.

    Si l’agile serviteur du client était peu regardant pendant les après-midi quand la clientèle se faisait rare, il en allait tout autrement lors de la sortie des bureaux.

    Quelqu’un qui n’aurait passé que quelques minutes dans le bar aurait pu croire que ce petit être tassé devant son verre presque vide était un trompe l’œil peint sur l’arrière salle. Ce visage au regard à la fois absent –  le point où il semblait se poser était bien au-delà des murs, de la rue, voire de la ville – et terriblement présent par l’intensité du noir de sa pupille, avait des contours presque trop dessinés – de telles rides sont elles réelles ? – et une expression qui aurait pu être l’un des clichés composant un ralenti.


    Seize heures trente neuf minutes.

    Deux clients se lèvent au même instant et franchissent presque simultanément le seuil de l’établissement, l’un s’effaçant devant l’autre en lui tenant la porte, et coupant par la même occasion le passage à une vieille femme voilée de noir qui arrivait au même instant de son côté.

    Le petit vieux, remerciant d’un signe de tête accompagné  d’un bref regard le jeune homme qui lui avait si obligeamment rendu service, s’éloigna à pas hésitants en leur direction, mais fermes en leur amplitude.

    Tamel, faisant à nouveau preuve de sollicitude, maintint la porte ouverte et aida du bras la dame à entrer dans le bar. On aurait même pu penser qu’il l’y poussait malgré elle, si celle-ci n’avait pas apparemment manifesté, un instant plus tôt, la volonté d’y pénétrer.

    Vite ! A présent il fallait rentrer au village, à cette heure, chez les Hûles, jeunes ou vieux, tous étaient attendus.

    Ce soir, on pressait le raisin. 

     

    « La branche de l'aulneAbsence »

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  • Commentaires

    1
    annaj
    Dimanche 13 Novembre 2011 à 08:07

    "ce soir on pressait le raisin" ...jolie conclusion à cet hymne tranquille à la lenteur

    2
    Aunryz Profil de Aunryz
    Dimanche 13 Novembre 2011 à 20:07

    Je ne suis pas gentil avec le lecteur
    en ne lui livrant qu'une partie de l'histoire qui se raconte en moi.

    Heureusement
    quelque chose passe
    (c'est ce que ton retour me dit)

    merci

    ______________

    Dans notre monde le vieux ne sert à rien
    et la faux le guette à chaque fois qu'il passe une porte
    Tamel a détourné le cours de ...l'instrument
    (en pensant peut-être aux vieux qui, chez les Hûles on encore un rôle à jouer)
    pour un temps
    et demain encore le petit vieux
    pour peu que ses héritiers ne l'ait pas mis au rebut
    mesurera encore sa joie (lente bien sur, mais réelle) de vivre
    en aspirant de tous petits volumes d'un vin très ordinaire
    mais qui parle quand il passe.

     

    3
    annaj
    Dimanche 13 Novembre 2011 à 21:44

    l'histoire je la devine je la saisis  car je lis entre les lignes...et oui j'entends ce temps qui s'en va lentement comme le vin que l'on boit au compte goutte, ce temps qui ne permet plus de faire mille et une choses mais une ...lentement en la savourant.

     

    j'aime infiniment qu'un être âgé écrive partage dise et cela me réconforte  assurément: le lien avec les humains n'est pas tout à fait perdu

    4
    Aunryz Profil de Aunryz
    Dimanche 13 Novembre 2011 à 22:52

    Oui

    mais ce ne serait pas grave
    après nous il n'y aura pas que le déluge (sourire)²

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