• Le faiseur de cercles

    Rien n'est jamais enterré qui ne reviennent un jour à la lumière.

     


     

    Il fallait demander à l’ancien, à Archos. La menace était bien trop grave et précise. Lui saurait peut-être ?

    Une petite délégation de Hules pris le chemin d’Est entre les genets, grimpa la pente raide et caillouteuse qui menait à la cabane de l’Ancien.

    Après quelques instants d’hésitation, l’un des hommes s’apprêtait à manœuvrer le heurtoir lorsqu’une voix traversa la porte. Une voix très faible, mais que tous entendirent très distinctement.

    -      Entrez ! Je vous attendais.

    Quelques instants plus tard, Sorenggoe, maire du village, résuma une dernière fois la situation.

    -      Oui ! Si nous ne faisons rien – mais que faire ? – cette gigantesque armée de savants barbares traversera le village demain dans l’après-midi. Et de nous, comme de tous les lieux et vivants qu’elle a traversés, il ne restera rien.

    Couché sur sa paillasse, le visage blanc, creusé par l’ultime fatigue , l’Ancien répondit.

    -       Je ne peux pas vous être d’un grand secours, ma vie arrive à son terme, bientôt je ne serai plus parmi vous. Cependant je pense connaître celui qui peut aider le village.

    Un nom courut sur toutes les lèvres, qu’une interrogation vive transformait en chant.

    -       Tamel ?

    -       Non pas Tamel, mais son frère !

    L’étonnement recouvrit les visages.

    -       Mais Archos ! Tamel n’a pas de frère !

    Déjà dans le groupe, certains évoquaient la sénilité de l’Ancien.

    Déjà tous étaient gagnés par le doute.

    -      Il a ! Sorenggoe, il a !

    Va et demande lui de réveiller son frère !

     

    Tamel devait le faire !

    Il en allait de l’existence même de touts ceux qu’il aimait, de ce lieu qui l’avait vu naître et grandir, de cette terre qui l’avait nourri.

    Le jeune homme, lorsqu’il se mit en chemin, pensa que la tâche ne serait pas facile.

    Deux lustres s’étaient écoulés depuis qu’il s’était séparé de son frère.

    Depuis tout ce temps, seul un petit creux dans sa tête marquait l’absence de celui avec lequel il avait partagé si intimement sa toute petite enfance.

    Oui, c’était bien sur ces terres recouvertes de ronciers qu’il avait enterré Le Mat, son double, son jumeau, cette chair de sa chair, lui qui avait révélé les véritables couleurs de ce monde.

    Mais comment le retrouver sur l’une de ces collinettes si semblables les unes aux autres ?

    Cette question reçu sa réponse lorsque Tamel aperçut un chêne qui semblait plusieurs fois centenaire, mais ne pouvait l’être puisque,  dix années aiparavant, aucun arbre ne protégeait ces terres.

    C’est alors qu’il entendit en lui une voix familière. Une voix qui lui avait terriblement manqué. Une voix chaude, douce, presque immobile.

    Sans prononcer de mots qui auraient été, comme en tout langage, détachés les uns des autres, ni de phrases qui découperait le « à dire » en unité de sens, la voix lui parlait. Et il s’en nourrissait avec délice.

     

    Quelques heures plus tard, Tamel s’en retournait au village.

    Désormais, à tous il pouvait promettre que l’existence des Hules serait protégée.

    ...

    Fiers, dignes dans leur port de tête, dans la manière rigide de transmettre l’ordre de conduite à leurs chevaux, mais aussi sauvage au fond du regard, prêt à retirer, avec délectation, la vie  à tout ce qui se présenterait sur leur chemin, les milliers d’hommes de la colonnes s’avançaient.

    -         Bientôt nous devrions rencontrer un village.

    -         Qui dit village dit ravitaillement, butin, femmes !

    -         Oui, la récompense d’une journée à chevaucher ces terres mornes où le gibier semble avoir eu vent de notre passage.

    -         Nous devrions y être dans quelques heures.

    …Etrange tout de même !

    -         De quoi parles-tu ?

    -         Cette forêt ! Elle n’est pas sur ma carte.

    -         Un oubli ! Ils sont si fréquents ! Pour ma part je n’ai aucune confiance en ces papiers. J’avance et ce qui m’importe le plus c’est de sortir au bon moment l’épée du fourreau.

    -         Pourtant…

    -         Entrons ! Cette allée de galop nous invite. Bientôt il y aura ce village…

    -         …

    -         Nous sommes déjà passé ici. Ne reconnais-tu pas ce petit étang bordé de sapins ? Les hommes deviennent fébriles. Heureusement qu’ils n’ont pas ce plan que je tiens entre mes mains.

    -         Près de l’étendue d’eau dont tu parles, il y avait quelques chênes, ici il n’y en a pas.

    -               Tu as raison… Pourtant…

    -        Avançons ! Pense à la chair fraîche qui ignore qu’elle nous attend !

    -         …

    -         Cette forêt ! … Cette forêt !

    Une demie lune que nous y sommes entrés. Les hommes se sont entretués.

    Cette forêt !

    Qui aurait su me dire que je finirai vaincu par une forêt ?

     

     

     

     

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  • Commentaires

    1
    Vendredi 9 Décembre 2011 à 13:08

    Très beau. Vous ai trouvé par hasard. Heureux hasard. Le crin de votre archet frémit des mondes aussi vrais que la Vie. Merci.

    2
    Aunryz Profil de Aunryz
    Samedi 10 Décembre 2011 à 01:31

    Il n'y a de vrai que le hasard.
    La compostion des éclats de Tamel est elle même très hasardeuse.
    J'espère qu'elle continuera à produire un son doux à votre oreille.
    Merci.

     

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