• Les Anciens

     


     

    C’était au tour de Tamel d’aller donner à boire aux joueurs de cartes.

    Le petit groupe se réunissait à chaque nouveau quartier perdu ou gagné par la lune, pendant plusieurs heures après le repas de midi, dans la grande salle de la taverne.

    Pour le responsable de cette tâche importante qui était assignée à tour de rôle à tous les enfants de sept ans du village, il fallait en premier lieu préparer la seule boisson qui convenait à tous ou plutôt qui ne ferait de mal à aucun : quelques plantes, dans un savant mélange dosé par Anthelme, un rien de miel et trois grandes mesures d’eau bien chaude. Filtrer ensuite, ni trop tôt – la mixture serait sans saveur – ni trop tard – elle deviendrait alors trop forte et trop acre pour beaucoup – et pour finir, verser le tout en deux grands pichets.

    Tamel entra dans la salle. Aussitôt le silence l’emplit.

    L’enfant reçut le poids du regard de tous ces hommes et de toutes ces femmes à la peau en feuille d’automne, c’était à la fois pesant, amical et troublant.

    Quelques secondes passèrent, gouttes d’eau claire suintant d’un rocher, puis en un même mouvement, tous se remirent à la partie en cours.

    Tamel passa de table en table et remplit les verres aux deux tiers comme le lui avait recommandé Archos. Afin qu’aucun tremblement n’en fasse verser le contenu ailleurs qu’en sa destination. Au fur et à mesure qu’il déambulait, prenant garde de ne gêner en rien les joueurs, la rumeur qui s’élevait dans la pièce se transformait pour l’enfant en une musique douce et suave.

    La tourné achevée, Tamel ressentit le besoin de s’asseoir un peu. Son esprit était troublé.

    Dès qu’il fut posé sur un siège, il se sentit mieux, la musique lui paraissait de plus en plus mélodieuse. Elle apaisait son âme et une somnolence tranquille s’empara de lui.

    C’est dans cet état de demi-sommeil que l’enfant vit apparaître peu à peu au-dessus de chaque joueur un double fantomatique.

    Toutes ces répliques des vieux joueurs de cartes leur ressemblaient trait pour trait, pourtant elles paraissaient nettement plus jeunes et plus alertes. A la différence de ceux qui étaient à table, tournés les uns vers les autres, ils semblaient tous participer à une réunion, une conférence.

    A la musique des joueurs s’ajoutait à présent pour Tamel le murmure grave des échanges qui se déroulaient au-dessus de leurs têtes.

    De temps à autres, l’enfant distinguait quelques paroles :

    « … feu s’éteint … jour … plus … » ; « … garder sauves … braises … » ; « … notre devoir … » ; « … confiance … elle saura … »

    -         Eh ! Gamin !

    -         Oh ! Excusez-moi ! Je crois que j’ai un peu de fatigue dans les jambes.

    Un des joueurs venait de tirer Tamel de sa rêverie.

    -         Ce n’est rien ! Demande au petit Clemch de te remplacer.

    -         Cela va aller, je vous assure !

    -         Envoie-nous Clemch et va te dégourdir un peu ces jambes et leur tête du côté du Barret !

    A regret, l’enfant traversa la salle de jeu puis sortit.

    Dès qu’il fut dehors, le vieillard qui lui avait adressé la parole reprit d’une voix forte pour l’ensemble des présents :
    -         Il a vu et entendu quoique partiellement. Nous aurions dû être plus prudents. Tamel ne doit plus jamais venir faire le service ici.

    Autour de lui, le regard étonnement vif, toutes les têtes acquiescèrent.


    Une vingtaine d'âmes

    que le temps et l'espace ont isolées de tout

    et qui réinventent dans une petite flaque d'eau

    où surnagent quelques goutelettes d'huile

    les ondes douces, sauvages et colorées

    le ballet de la vie.


     

     

    « RâleEclairage »

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  • Commentaires

    1
    annaj
    Lundi 9 Janvier 2012 à 05:33

    entre les mondes  ces zones mystérieuses magiciennes de fusion de diffusion  comme cet endroit du fleuve où deux courants s'embrassent

    2
    Aunryz Profil de Aunryz
    Lundi 9 Janvier 2012 à 08:45

    Vous lisez souvent dans ces éclats des propositions que je ne pensais pas avoir mises
    et mon souhait n'est certainement pas de vous dire*  "vous vous trompez" ou "vous avez raison"

    Si votre oeil complet a vu cette fusion
    c'est qu'elle y ait
    cet éclat y gagne un peu de territoire
    je vous en remercie.

    ________________
    (je connais des lieux où l'on fait cela, de façon assez sèche parfois. Doublé même en certains cas d'assassins messages si mal nommés dans le monde des gazoullis "message direct".)

     

    3
    Tithoem
    Lundi 9 Janvier 2012 à 17:03

    De même que l'on de doit s'approcher d'un arbre
    peut-être faut-il éviter de s'approcher des anciens... sauf à être convié à découvrir leur être caché.
    Un beau climat initiatique dans cette page.
    Votre jeune héros sans le savoir a franchi tant d'étapes.
    On comprend donc que ses anciens soient soucieux, quelques temps, de l'aider à rester en enfance.

    Accessoirement, votre autre lectrice porte presque l'anagramme d'un beau chakra ( AJNA)

    4
    Aunryz Profil de Aunryz
    Lundi 9 Janvier 2012 à 18:59

    Il faut certainement protéger Tamel de
    Tamel

    Rien n'est plus préjudiciable à l'être
    qu'un racourcis 

    5
    annaj
    Lundi 9 Janvier 2012 à 20:05

    je suis fascinée par ces êtres à la frontière de la vie de la mort qui se manifestent, ces anciens qui en savent déjà tellement plus de l'au-delà  juste parce qu'ils sont poreux, judicieux et sensibles mélanges de vie et de mort...pour moi il existe un no mans land  qui contient toutes les questions et toutes les réponses.

    6
    Aunryz Profil de Aunryz
    Lundi 9 Janvier 2012 à 22:12

    Si un lieu contient toutes les réponses
    alors il contient aussi le monde des questions
    ...
    J'ai fini par aimer beaucoup plus le temps de l'incertitude
    celui où le balancement existe encore
    que sa mort
    lorsque l'on comprend (ou croit comprendre quelque chose)

    Mais les mots nous trahissent parfois
    et je dois reconnaître que quelque chose de ce que vous dites là (l'ancien en contact avec un passage)
    touche.

    Le monde est un no mans land
    qui nous tolère quelques temps.

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